Surmonter la résistance acquise aux traitements est l’un des grands enjeux de la lutte contre le cancer. Si les associations de médicaments offrent une piste prometteuse, leur toxicité sur les tissus sains reste un obstacle majeur. Afin d’anticiper ces risques, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a développé une plateforme modélisant in vitro le rein, le foie et le cœur, trois des organes les plus sensibles à ces thérapies combinées. Cette approche, rapide et sans recours à l’expérimentation animale, ouvre la voie à une évaluation plus sûre des nouveaux traitements. Les résultats sont publiés dans Biomedicine & Pharmacotherapy.
Les avancées récentes de l’immunothérapie et des thérapies ciblées ou géniques ont nettement augmenté la survie des personnes atteintes de cancer. Mais, au fil du temps, de nombreuses tumeurs développent une résistance à ces traitements, compromettant leur efficacité. Ce phénomène, connu sous le nom de «résistance acquise», constitue aujourd’hui l’un des plus grands défis de l’oncologie.
Pour contourner cette résistance, les stratégies les plus prometteuses reposent sur l’utilisation simultanée de plusieurs médicaments. Or, si ces combinaisons augmentent l’efficacité thérapeutique, elles s’accompagnent souvent d’une toxicité importante pour les organes et tissus sains, limitant leur utilisation clinique. Pour prévenir ce risque, une équipe de l’UNIGE a mis au point une «plateforme» permettant de tester en laboratoire la toxicité de ces associations, rapidement et sans recourir au modèle animal.
Trois organes modélisés
«Cette plateforme modélise in vitro, sous la forme d’amas de cellules issues d’organes humains, les reins, le cœur et le foie. Ces organes sont particulièrement sensibles à la toxicité des médicaments», explique Patrycja Nowak-Sliwinska, professeure associée à la Section des sciences pharmaceutiques de la Faculté des sciences de l’UNIGE et membre du Centre de recherche translationnelle en onco-hématologie (CRTOH) de la Faculté de médecine. «Avec cette plateforme, nous pouvons étudier l’interaction de nouvelles combinaisons médicamenteuses avec ces organes, et décider si le passage à des tests in vivo se justifie, chez l’humain ou l’animal.»
Avec cette approche, les scientifiques de la Section des sciences pharmaceutiques, en collaboration avec la Faculté de médecine de l’UNIGE et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ont testé deux associations médicamenteuses spécifiques, C2 (erlotinib HCl, dasatinib, tubacin, tacedinaline) et REMP (erlotinib HCl, parthenolide, metformine HCl, RAPTA-C), toutes deux en cours de développement. «Par exemple, nous avons identifié que C2 présentait une toxicité pour le foie. Cela montre qu’un passage à des test in vivo avec cette combinaison n’est pas forcément indiqué», indique la chercheuse.
Une avancée «3R»
Cette méthode est particulièrement rapide. Deux semaines suffisent pour obtenir un résultat, contre dix ou davantage — selon la gravité de la toxicité — avec les tests réalisés sur des modèles animaux. «En plus de présenter un gain de temps important, cette approche s’inscrit en droite ligne du concept 3R qui vise à «réduire», «remplacer» et «raffiner» le recours au modèle animal dans la recherche».
Pour la suite, les chercheurs et chercheuses prévoient d’ajouter un nouvel organe au modèle et, à plus long terme, de remplacer les lignées cellulaires standards par des cellules directement issues de patientes et patients. Cette évolution permettrait de tester la toxicité des combinaisons médicamenteuses de manière encore plus individualisée.