La physique quantique continue de défier notre intuition. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) démontre qu’il est possible d’effectuer des mesures conjointes sur des particules éloignées, sans qu’il soit nécessaire de les réunir. Ce résultat s’appuie sur l’intrication, un phénomène selon lequel des particules restent liées comme par un fil invisible, peu importe la distance qui les sépare. Cette avancée ouvre des perspectives prometteuses pour la communication et l’informatique quantiques, où l’information ne peut être exploitée qu’une fois mesurée. Les chercheuses et chercheurs ont également établi un «catalogue» des mesures possibles et du nombre de particules intriquées nécessaires pour les réaliser. L’étude est publiée dans Physical Review X.
En rompant avec la physique classique, la physique quantique a permis de décrire les comportements des atomes et des particules. Cette science des composants les plus fondamentaux de la nature repose, notamment, sur la mesure de leurs propriétés individuelles et collectives. Or, ces mesures sont difficiles à réaliser: les instruments eux-mêmes, soumis aux lois quantiques, interagissent avec les particules et risquent d’en modifier les caractéristiques.
«Le domaine des mesures quantiques est encore mal compris car peu étudié. Jusqu’à présent, la recherche s’est surtout concentrée sur l’étude des états des systèmes quantiques, qui présentent des propriétés - telles que l’intrication ou la superposition - plus directement applicables à des domaines comme la cryptographie ou l’informatique quantiques», explique Alejandro Pozas Kerstjens, maître-assistant au Département de physique appliquée de la Section de physique de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Des particules liées par un fil invisible
Pourtant, ces mesures sont essentielles à l’émergence des technologies du futur, comme la communication quantique, qui consiste, par exemple, à encoder de l’information dans des particules de lumière (photons). Pour «lire» cette information, les particules doivent d’abord être mesurées. Une question centrale est de savoir si une mesure conjointe sur deux particules séparées (ou plus), portant chacune une partie de l’information, peut être effectuée sans les réunir physiquement.
Dans une récente étude, une équipe du Département de physique de l’UNIGE composée de Jef Pauwels, Alejandro Pozas Kerstjens, Flavio Del Santo et Nicolas Gisin, montre qu’il est possible d’effectuer certaines mesures simples mais fondamentales sur des systèmes de particules séparés, à condition que les appareils de mesure partagent des particules intriquées. Cette intrication, phénomène central de la physique quantique, lie deux particules ou plus de telle manière que l’état de l’une dépend instantanément de celui de l’autre. Une mesure effectuée sur la première révèle ainsi aussitôt la même propriété chez la seconde, quelle que soit la distance qui les sépare.
«Il y a cependant une subtilité: certaines mesures, selon leur complexité, requièrent plus ou moins de particules intriquées pour être correctement réalisées», indique Alejandro Pozas Kerstjens. L’équipe de recherche a ainsi développé un système de classification — une sorte de catalogue — qui organise les types de mesures selon leurs propriétés et les ressources en intrication nécessaires à leur réalisation.
Applications prometteuses
Ces résultats constituent une avancée vers la compréhension plus systématique des mesures dans les systèmes quantiques. Ils pourraient s’appliquer non seulement à la communication, mais aussi à l’informatique quantique. Par exemple, lors de simulations avec des ordinateurs classiques, les calculs sont répartis entre plusieurs ordinateurs puis les résultats sont rassemblés. Une approche similaire est envisagée avec les ordinateurs quantiques. Mais ici, la lecture des résultats implique des mesures réparties entre plusieurs machines.
«Grâce à nos protocoles de mesures conjointes à distance, il deviendrait possible de s’affranchir de la centralisation: chaque ordinateur quantique mesurerait sa propre partie, et le résultat global pourrait être reconstitué sans transfert physique des données. C’est une piste prometteuse que nous allons explorer!», conclut le chercheur.